Reseña francesa

María et ses  mirages

C’est une femme dans une cafétéria. Un matin de printemps, à Madrid, de nos jours. Une (encore) jeune femme, plutôt belle, discrète. Elle s’appelle María Dolz. Elle est éditrice. Chaque jour, elle retarde le moment de rejoindre son bureau, elle regarde passer les gens et s’arrêter un couple d’un certain âge et d’une distinction non moins certaine, respirant l’aisance et la sérénité accomplie de l’amour. L’homme et la femme fascinent María. Ils sont pour elle comme un voyage en douce, quelque chose de clandestin et de rassurant à la fois.

Aussi est-elle étonnée, à la fin de l’été, de ne pas les retrouver à la terrasse du café, avant d’apprendre que l’homme, un producteur de cinéma nommé Miguel Desvern, a été sauvagement assassiné par un déséquilibré. Se rapprochant de Luisa, la désormais veuve, María va faire la connaissance du meilleur ami du défunt, Javier, dont elle devient la maîtresse. Et elle qui ne savait rien de ces gens, n’avait fait que les envisager ou les dévisager, les aimer peut-être aussi à sa rêveuse manière, va se trouver plongée dans un mystère plus opaque encore, où la mort, le désir, le mensonge mènent la danse, un étrange bal des fantômes. Le décès de Miguel Desvern est-il aussi fortuit qu’il semble l’être ? Quel rôle a pu, peut-être, y jouer Javier? Et pourquoi María serait-elle bien inspirée de lire Le Colonel Chabert, de Balzac?

Énigme littéraire

Ces questions sont au cœur de Comme les amours, le nouveau roman de Javier Marías. Marías, qui à lui seul a déplacé le centre de gravité du monde littéraire espagnol de Barcelone à Madrid et annexé «l’understatement» britannique au rayon des beaux-arts ibériques, est à peu près unanimement considéré comme le plus grand écrivain de son pays. Perclus d’honneurs, il n’attend plus désormais que l’onction suprême du Nobel.

Foto. C. Hellie/Gallimard

Foto. C. Hellie/Gallimard

Ce roman, qui succède à Ton visage demain, une trilogie romanesque qui avait quelque peu désarçonné jusqu’à ses plus fidèles lecteurs, a rencontré dans son pays un immense succès, et sa traduction en Angleterre et aux États-Unis, portée par les échos critiques flatteurs de gens aussi recommandables qu’Edward St Aubyn ou Alberto Manguel, promet de connaître le même sort.

Qu’en est-il de cette version française? Le lecteur d’ici ne risque-t-il pas d’être intimidé par l’ampleur et la hauteur du propos, voire ennuyé par l’architecture toute en ratiocinations et ressassements du livre? Marías reprend ici en effet ce qui faisait toute la beauté désolée de ses grands romans qu’étaient « Demain dans la bataille pense à moi » ou Un cœur si blanc: une mise en doute systématique du réel. Jusqu’au malaise. Jusqu’au vertige.

María a-t-elle bien entendu ce qu’elle croit avoir entendu cachée dans la chambre de son amant? Les morts le sont-ils tout à fait? Les sentiments sont-ils autre chose qu’une entreprise délibérée de corruption du sens moral? Ces questions, passionnantes, qui relèvent de la philosophie, de l’esthétique et de la dialectique, sont au cœur de l’œuvre ; de toute l’œuvre. On regrettera seulement qu’elles soient ici posées avec une certaine forme de didactisme, une insistance qui peut engendrer dans la narration quelque lourdeur et à la lecture quelque ennui. Tel quel, Comme les amours demeure tout de même une assez fascinante énigme littéraire.

«Une mise en doute du réel. Jusqu’au malaise. Jusqu’au vertige»

OLIVIER MONY

Sud Ouest, 1 septembre 2013

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